Mathieu Agopian : Point-virgule

(Ceci est mon premier essai d'écriture. Je trouve l'idée sympa, mais la réalisation est au mieux moyenne... faites moi connaître votre avis et conseils d'amélioration dans les commentaires !)

Ça a recommencé.

Tout va être à refaire, tout ce que nous avons construit, patiemment, péniblement, durant les 80 dernières années. Voilà l'amer constat qu'il m'est donné de faire, au crépuscule de ma vie.

J'avais espéré pouvoir offrir à mes pairs, mes confrères et amis, un avenir plus radieux que celui qui nous était initialement réservé.

Tout s'était mis en place, pièce après pièce, comme un puzzle, comme un Tetris bien engagé.

Le point de départ : une morne journée d'octobre, et un développeur de plus qui se fait dire que son boulot devrait être réservé aux débutants, aux jeunes diplômés. Les mots résonnent encore dans ma tête : "Le développement, c'est bouché, ça n'a pas d'avenir dans la vie d'un homme. Il faut savoir évoluer, devenir chef de projet, consultant, technico-commercial. Tout sauf rester prostré devant son ordinateur, en concurrence avec les milliers d'autres programmeurs frais sortis de l'école, toute cette main d'oeuvre bon marché. Il faut que tu saches qu'aujourd'hui, trouver un programmeur c'est super facile. Un conseil, évolue." Ces mots lâchés par un patron vraiment plus au goût du jour, dépassé, mais toujours aussi puissant, ont fait écho aux nombreuses plaintes, rancoeurs et billets de blogs traitant du sujet : le développement n'était pas apprécié à sa juste valeur, n'était pas apprécié du tout en fait. Et cette mentalité rampante était devenue à la mode, comme une évidence.

Pourtant, le manque de développeurs était flagrant. Trouver un collaborateur ou employé expérimenté, motivé et qui se tenait informé des dernières avancées techniques était de plus en plus compliqué. Les plus grandes entreprises comme Mozilla et Google attiraient la plupart de ces perles rares qui savaient pouvoir y trouver un hâvre de paix, de sérénité, et de liberté dans leur travail quotidien. Un endroit leur permettant d'exprimer leur créativité, et leur plein potentiel.

La bascule a d'abord été imperceptible. Sous l'action d'un petit groupe de Djangonautes (terme maintenant oublié depuis longtemps), les évènements se sont enchainés :

Une fois tout ça en place, l'étape suivant fût d'imposer des restrictions sur les places disponibles en école informatique. Pour faire voter une telle loi, il suffisait de se mettre quelques politiciens dans la poche. En effet, depuis de très nombreuses années déjà ils étaient devenus maître dans l'art de l'absurde, dans l'art de présenter une idée comme étant la solution logique à un problème, alors que c'était exactement le contraire qui était recherché.

Quelques exemples:

On ne veut pas que le piratage de la musique soit facile ? On va limiter les téléchargements gratuits (et donc renforcer et enrichir les solutions de piratage payantes).

Il y a des problèmes de sécurité depuis qu'on a augmenté les sanctions, et diminué la prévention ? Continuons dans cette voie, et augmentons encore les sanctions, et diminuons d'autant la prévention.

Ces raisonnements illogiques, présentés comme les seuls valables, ont pavé le chemin à la grande loi : il y avait un manque d'informaticiens, de développeurs ? Limitons les places dans les écoles d'informatique pour les réserver à une "élite", qui serait bien plus efficace. Grâce au lobby alors puissant des Congs, cette loi fût votée dans le plus grand secret, en pleine nuit, par une poignée de fidèles, et ne rencontra donc aucune opposition.

Le plan se déroulait à merveille jusque là, et il alors fallut franchir le cap le plus difficile : le bannissement pur et simple du langage qu'on ne saurait nommer, et du framework plébiscité jusque là par les adeptes du web, le framework au poney magique.

Sans cette dernière étape, il n'aurait jamais été possible d'arriver où nous en sommes maintenant. Ou devrais-je dire, où nous en étions il y a encore quelques années.

Il n'était pas envisageable de garder un langage aussi facile, accessible à tous et efficace, sous peine de fragiliser la main-mise des informaticiens sur le précieux code.

Nous, les développeurs, sommes maintenant une caste renommée et appréciée de tous, ou plutôt crainte de tous. N'étant plus qu'une centaine de par le monde, nous imposons notre volonté aux hommes d'états comme aux chefs d'entreprise. Quand nous nous déplaçons, les foules nous acclament en espérant que nous daignerons continuer à maintenir les infrastructures, les services et programmes qui régulent la vie quotidien des 12 milliards d'habitants de notre planète.

Oui, dernièrement, la vieillesse aidant, nous nous sommes ramollis. Notre emprise de fer s'est assouplie, et certains pseudo-langages ont fait une timide apparition. Bien entendu, les créateurs étaient immédiatement arrêtés, convertis, puis assujettis à notre cause.

Oui, ces pseudo-langages persistaient parfois pendant quelques mois, soutenus et améliorés par quelques dissidents, quelques résistants du monde de l'opensource, ces illuminés qui ne comprenaient pas notre vision. En général une descente de flics chez ces derniers suffisait à calmer leurs ardeurs.

Oui, depuis quelques années, notre influence diminuait, et les foules qui s'ammassaient sur nos trajets avaient l'air moins craintives, plus hargneuses et revendicatrices.

Oui, j'ai entendu parler il y a quelques mois d'un langage qui persistait, et son nom aurait dû me mettre la puce à l'oreille : Boa.

Boa.

Voilà un nom étrangement évocateur. Il paraît que son auteur est Hollandais, et qui plus est, barbu. On m'a même dit que ce langage n'utilisait ni accolade, ni même de point-virgule ! Sacrilège !

Nous aurions dû nous en inquiéter, nous aurions dû préparer la relève il y a bien longtemps, une relève forte qui nous aurait sorti de ce mauvais pas.

Ça a recommencé... mon infirmière, au détour d'une conversation, m'a dit hier ces quelques mots, d'apparence anodine, mais qui résonnent depuis dans ma tête. Ces quelques mots annonciateurs du retour du grand mal :

"j'ai une super idée, et je vais demander à mon neveu de me la programmer".